RÉPONSE À BOUSSOUF SUR LES DROITS POLITIQUES DES CITOYENS MRE (12) – Dr Abdelkrim Belguendouz

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Dr Abdelkrim Belguendouz universitaire à Rabat, chercheur en migration
Dr Abdelkrim Belguendouz universitaire à Rabat, chercheur en migration

Dr Abdelkrim Belguendouz universitaire à Rabat, chercheur en migration

NOS REMARQUES

Nous allons montrer ici que le modèle « étapiste » prôné  par le secrétaire général du CCME, s’agissant de l’effectivité des droits politiques des citoyens MRE par rapport au Maroc, est non réaliste et intemporel.

En allant à contre-courant de la Constitution, en considérant que la communauté des citoyens marocains résidant à l’étranger la CCME ne peut avoir des députés qu’à certaines conditions, dont celle de passer nécessairement préalablement par les institutions de bonne gouvernance, puis obligatoirement par la Chambre des Conseillers et non pas de manière concomitante comme c’est le cas pour les Marocains de l’intérieur, le secrétaire général du CCME fait-il, dans cette «fatwa», preuve de sérieux, de créativité, d’innovation et d’une attitude responsable !? Est-ce ainsi qu’il pense apporter une grande contribution à l’élaboration d’un modèle de participation politique propre ou spécifique au Maroc et à sa communauté établie à l’extérieur du pays !?

Relevons que cette démarche consistant à prendre encore plus de temps, de reculer l’échéance, de reporter toujours à plus tard l’effectivité des droits politiques des citoyens  MRE par rapport au Maroc, n’est pas nouvelle, ayant déjà été défendue pratiquement dans les mêmes termes par le dirigeant du Conseil dans bien d’autres interventions médiatiques, dont l’interview accordée à l’hebdomadaire marocain « Al Ayyam » dans son édition n°767 datée du 13 au 19 juillet 2017.

En effet, le temps des responsables du CCME, c’est le temps de l’immobilisme, de l’(in)action, entendu ici non pas au sens d’une appartenance à l’Exécutif, mais en se plaçant bien dans le cadre d’une instance consultative, qui a le devoir de s’exprimer objectivement par des avis consultatifs fondés et bien informés, de prendre ses responsabilités en défendant réellement la protection et l’élargissement des droits des citoyens et mères, y compris par rapport au Maroc, et non pas en allant contre le progrès et contre le sens de l’histoire.

Le temps politique du CCME ou Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, c’est l’attente infinie de la CCME ou communauté des citoyens marocains établis à l’étranger. Le temps politique de la CCME est antinomique avec la gestion intemporelle du CCME : report toujours à plus tard des demandes pressantes des citoyens MRE ou de la participation à la concrétisation des acquis constitutionnel les concernant à travers des avis consultatifs; non-respect de la périodicité des assemblées plénières du Conseil;  de la durée du mandat des membres délibérants (4 ans maximum); du nombre de mandats  des responsables, en particulier du secrétaire général qui est depuis décembre 2007 à son quatrième mandat,  alors que le dahir prévoit une mission de 4 ans etc…

Par ailleurs, la représentation parlementaire des expatriés dans leurs pays d’origine est assurée notamment dans les pays suivants : Algérie, Tunisie, Mauritanie, Sénégal, Mozambique, Cap.Vert,  France, Italie, Portugal, Croatie, Colombie, Équateur qui vient d’abriter la 12ème session du Forum Mondial Migration Développement, etc….Pourquoi ne le serait-elle pas au Maroc ?

Dans cet esprit et pour faire bouger les lignes, pourquoi certains membres de la commission participation politique du CCME n’ont pas fait un travail sur l’expérience des pays où ils sont, de la faisabilité technique et matérielle de la représentation parlementaire de leurs expatriés : France (Mohamed Moussaoui), Italie (Hamid Bichri), Sénégal (Sidi Mohamed Farssi), Algérie (Amina Benlarbi) ?

Les membres du CCME (principalement les membres du groupe de travail citoyenneté et participation politique) vivant en France et en Italie sont doublement interpelés dans la mesure où la représentation des expatriés français et italiens est assurée également respectivement au sénat de chacun des deux pays. Tout comme le membre du Conseil issu du Sénégal est interpelé par l’expérience de ce pays qui dispose d’un conseil élu, le «Haut Conseil des Sénégalais de l’extérieur » (HCSE).

De plus, en revenant directement à la vidéo, un développement n’ayant pas été repris ou synthétisé par le site «Al Oâmk Almaghribi», relevons le passage suivant du secrétaire général du Conseil qui observe que l’expérience marocaine de représentation parlementaire de la Jaliya entre 1984 et 1992 n’a pas été évaluée: « on ne peut porter un jugement en positif ou en négatif sur cette expérience » en précisant, ajoute-t-il, que «les archives la concernant existent au parlement».

Dans ce cas, pourquoi le Conseil, dont une des missions parmi tant d’autres est de réaliser un avis consultatif bien informé au Souverain sur la participation politique et la représentation parlementaire des MRE, n’a pas entrepris cette étude pour éviter à l’avenir les lacunes et insuffisances de cette expérience et relever les aspects positifs ( car il y’en a), pour les renforcer ?

Par ailleurs, continuer à invoquer par les responsables politiques du dossier électoral au Maroc, l’impossibilité technique et matérielle d’organiser des élections législatives à l’étranger (dans les bureaux consulaires et ambassades du Maroc), n’est-ce pas faire fi de la tenue des référendums auxquels participent les MRE et sous-estimer les efforts entrepris par le ministère marocain des Affaires étrangères en matière d’organisation et de maîtrise des données administratives relatives aux MRE ? Est-ce en continuant à déligitimer et à décrédibiliser de fait la représentation parlementaire des MRE, que l’on parviendra à « créer le propre modèle du Maroc » en ce domaine ?

CSMD, CCME ET CITOYENS MRE

Enfin, en revenant à l’original de la vidéo, on relève que le secrétaire général du CCME a fait un appel du pied à la Commission spéciale du modèle de développement (CSMD) pour qu’il soit auditionné par elle, s’agissant des aspects relatifs aux Marocains résidant à l’étranger. Bien entendu, comme nous l’avons montré dans un livre récent, intitulé « Immigrés au  Maroc et citoyens marocains à l’étranger, un double plaidoyer », l’inclusion des Marocains de l’extérieur dans le développement non seulement économique, social, culturel, technologique, mais aussi politique, démocratique et citoyen du Maroc, est une exigence de l’heure.

Les attentes et revendications des MRE doivent être prises en compte par la CSMD, y compris les aspects démocratiques et politiques, car il ne peut y avoir de développement sans démocratie, et la démocratie suppose la non discrimination et la non considération des MRE comme des sous-citoyens, et alors que ces exclusions sont justifiées et cautionnées en particulier par les responsables du CCME.

De ce fait, les dirigeants de ce Conseil, étant juges et parties en ce domaine et n’ayant pas assumé leur cahier de charge institutionnel notamment en ce domaine, sans parler de leur excès de zèle contre l’effectivité des droits politiques des citoyens MRE, l’écoute doit se faire, à notre sens, directement par l’implication directe des ONG réellement actives de la société civile MRE que l’on souhaiterait voir s’exprimer en conséquence, par le biais notamment de mémorandums et être largement auditionnées par la CSMD, non pas sur le principe de la participation, qui est déjà tranchée par l’article 17 de la Constitution, mais pour les mécanismes et les formules pratiques d’operationnalisation.

Dans une démarche participative et d’inclusion, la CSMD a organisé le 20 février 2020 à Paris, une réunion d’écoute avec une trentaine de compétences MRE « triés sur le volet » selon l’expression d’Atlasinfo. On souhaiterait que les prochaines soient élargies, étendues aux principaux pays d’immigration marocaine et surtout, ouvertes sur les aspects politiques du dossier migratoire marocain et non pas se limiter à l’apport économique des compétences marocaines à travers leurs projets.

Synthétisant les points centraux de la rencontre, une dépêche MAP, en date du 20 février 2020, écrit en effet notamment ce qui suit : « (…) Renforcer et encourager les PME, rendre le Maroc champion dans le domaine industriel et numérique, développer l’aérien dans les différents régions du Maroc, mettre en place de grands projets à forte valeur ajoutée et à fort impact sur la création d’emploi et créer de la richesse, mettre en place un Fonds d’investissement pour la diaspora, mieux vendre le Maroc à l’International… autant de pistes avancées par les Marocains du monde lors de cette rencontre ».

Or tout en ne négligeant pas l’expertise acquise, à mettre au service du Nouveau Modèle de Développement du Maroc, les compétences marocaines de la diaspora, sont d’abord des compétences citoyennes, avec ce que cela implique, en termes de devoirs et d’obligations, mais également de droits, y compris au plan politique par rapport au Maroc.

Dans le même esprit, s’agissant du CCME lui-même, «institution de bonne gouvernance », mais caractérisée après plus de 12 ans de sa création par l’absence d’efficacité et de transparence, ce n’est pas d’une « réconciliation historique » de façade dont il a besoin entre le secrétaire général du Conseil et certains de ses membres, hier «frondeurs», aujourd’hui cautionnant les dérives et l’absence de transparence, en décrétant (عفى الله عما سلف). Ce qui a trait à l’(in)action des groupes de travail, à l’absence de transparence dans la gestion du Conseil, est du ressort de l’assemblée plénière (annuelle) qui ne s’est pas réunie depuis juin 2008.

Par ailleurs, par respect des dispositions et de l’esprit de la Constitution, qui a institué notamment la reddition des comptes pour tout responsable, il est grand temps à notre sens, d’appliquer à ce Conseil un traitement de choc, en rénovant son statut et ses structures  par le biais de l’opérationnalisation de l’article 163 de la Constitution et en lui renouvelant (avec une démarche genre) notamment ses instances dirigeantes (dont on ne sait pas maintenant, qui est encore en responsabilité ou pas,  qui est responsable de quoi, qui fait ou ne fait pas quoi et sur quelle base juridique). Sans parler des membres délibérants qui doivent être élus, à notre sens, pour les représentants des MRE, par la voie démocratique comme nous l’avons vu plus haut.

 Un des objectifs de cette réforme nécessaire et tant attendue, est celui d’impliquer les Marocains de l’extérieur (dont les jeunes, qualifiés de « nos compatriotes» par le Souverain), afin qu’ils /elles contribuent à «la construction du Maroc de demain » (discours royal du 20 aout 2012), sous-entendu au sens  multidimensionnel, englobant également le plan politique et démocratique, ainsi que le système de valeurs et de la culture.

Cette approche royale est dans la lignée de la vision stratégique hassanienne, exprimée magistralement il y a plus de 33 ans par feu Hassan II qui, tout en prônant  l’ouverture à l’environnement immédiat, déclarait le 29 novembre 1985 à Paris, devant des membres de la communauté marocaine résidant à l’étranger, en présence du président de la république française François Mitterrand :

 « Et bien restez  Marocains, restez Marocains, parce que toujours dans la paix et la concorde, moi-même ou ceux qui me succéderont, pourront avoir un jour besoin de refaire une Marche Verte. Et bien, je veux qu’au nom de tous les Marocains vivant à l’étranger, pas simplement en France ou à Paris, vous me fassiez le serment que tous les jeunes Marocains qui seront nés en terre étrangère, seront dédiés, dès leurs berceaux, aux marches que l’histoire leur interposera. Si telle est votre réponse, je peux dormir tranquille ».

Qu’on est bien loin, à des années lumières même de certaines positions exprimées notamment par le secrétaire général de l’institution constitutionnelle qu’est le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger.

Dés lors, dans le cadre de la vision stratégique  précitée et de son prolongement exprimé à l’occasion du 59ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple (20 août 2012), dont les citoyens marocains font partie intégrante, quelque soit l’évolution de leur statut juridique dans les pays de vie, le traitement de la question des droits politiques des citoyens MRE  par rapport au Maroc, se situe au niveau de la ferme volonté politique de l’État, en terme d’arbitrage royal, qui permettrait de recadrer l’action publique en la matière du gouvernement , ainsi que de toutes les institutions nationales en charge du dossier MRE, comme le CCME, la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger, le ministère délégué chargé des Marocains résidant à l’étranger…

La clé qui peut ouvrir les portes de l’avenir est entre les mains du Souverain. À l’occasion de l’adoption du nouveau modèle de développement du Maroc, soumis encore à la réflexion nationale, cette souhaitable initiative de la plus haute autorité du pays, viendrait compléter l’œuvre de Réconciliation Nationale entamée par le Nouveau Règne, également avec la communauté des citoyens marocains à l’étranger. En effet, cette réconciliation est restée inachevée pour des raisons qui tiennent non seulement à l’absence de courage politique des gouvernements successifs et de leurs majorités parlementaires respectives, mais également au travail d’obstruction de la direction du CCME, comme nous l’avons montré, preuves à l’appui, tout au long de la présente contribution au débat public avec le secrétaire général de l’institution constitutionnelle CCME auquel nous renouvelons l’appel et notre invitation à participer à un débat public contradictoire.

Abdelkrim Belguendouz

 Universitaire à Rabat, chercheur en migration

 

 (FIN)

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