DES BINATIONAUX BLOQUÉS AU MAROC : DEUX ANGOISSES POUR LE PRIX D’UNE – PAR HAMID SOUSSANY

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Ils sont nombreux les Belges, les Français, les Espagnols, tous d’origine marocaines, ou pour le dire autrement, des euro-marocains qui sont, aujourd’hui bloqués, loin des leurs, au Maroc à cause du légitime confinement du pays. Certainement qu’ils vivent une situation, je le suppose, moins tragique que celles des 16000 marocains bloqués en Turquie, en France ou ailleurs. Pour autant, contraints et tenus éloignés des leurs, de leur travail et de leurs domiciles, leurs situations ne doivent être des plus commodes. Ils ne savaient pas quand ils étaient venus, passer quelques jours, pour des raisons familiales soient-elles ou touristiques, qu’ils allaient tomber dans une imprévisible souricière.
Au motif qu’ils sont Marocains, les autorités, on ne sait pour quelles raisons, leur ont interdit de se joindre aux vols de rapatriement des Européens tout court. Ils leurs ont appliqués l’interdiction de quitter le territoire au même titre que les autres Marocains. Une situation douloureuse à vivre, en rupture totale avec leurs enfants, leurs familles laissés dans les pays de résidence. Plus dramatiques, sont les cas d’enfants en bas âge bloqués chez les grands-parents ou, par exemple, des malades chroniques qui suivent des traitements. On peut aisément imaginer ce que cela suppose comme détresse humaine. Sans parler des dépenses dues à la prolongation du séjour et l’angoisse, pour certains, de perdre leur travail dans les pays de résidence. Il est inutile de préciser que cette situation tragique ne tient nullement compte du statut. Le même sort est réservé aux quelques MRE, nombreux je le suppose, disposant d’un simple titre de séjour.
Face à cette situation, on peut, au moins noter, la réaction du chef de la diplomatie Belge, M. Goffin. Il a fermement réfuté l’idée qui ferait des binationaux des citoyens de seconde zone, des sous-nationaux. «On a envie que nos binationaux puissent revenir au pays, on fait tout pour que cela fonctionne de la sorte. Sauf que pour le moment on se heurte clairement au refus de l’Etat marocain, C’est aussi clair que cela» a confié M. Goffin. On ne peut trouver plus accablant. Pour lui, l’argument qui devait prévaloir est celui de la résidence principale. C’est ce qui aurait dû plaider pour leur rapatriement en Belgique. Il a par ailleurs précisé que seuls deux pays ont refusé le rapatriement de personnes disposant de la double nationalité, le Maroc et le Burundi. Dans ce dernier, à peine une trentaine de personnes sont concernés.
Cette situation inédite, pose avec acuité, et de manière non moins inédite, la question de la binationalité. La plupart des Etats tolèrent la double nationalité. Personne ne demande au double-national de renoncer à l’une ou l’autre citoyenneté. Les Etats se contentent d’appliquer sur leurs sols leurs souverainetés respectives. Si en temps normal, la seconde nationalité est tolérée, voire jalousée. Force est de constater que, dans le cas d’espèce, il a provoqué des situations inattendues, absurdes et kafkaïennes, si elles n’étaient pas tragiques.
On peut légitiment se poser la question quel est l’intérêt du Maroc, en matière sanitaire du moins, d’empêcher ces doubles nationaux de repartir en Europe, rejoindre leurs familles. Je n’en vois aucun. A moins que cela ne soit une simple affirmation de la souveraineté du Maroc sur ses citoyens vis à vis des autres puissances auxquels ils appartiennent aussi. Ces considérations de droit international seraient intellectuellement intéressantes à discuter. Pour l’instant, elles provoquent surtout des drames pour des personnes livrés à elles-mêmes. Des belgo-marocains n’ont-ils pas créé, sur Facebook, une plate-forme, «Belgo-marocains bloqués au Maroc/coronavirus» ? Ils révèlent, dénoncent et entendent exercer une pression pour venir en aide aux binationaux bloqués au Maroc.
Un CCME confiné et une ministre en hibernation
Les Marocains bloqués à l’étranger ont trouvé un appui dans la diplomatie marocaine, avec des consulats et des chancelleries qui cherchent à alléger leurs fardeaux. Qui aide et plaide pour la cause des binationaux?
Déjà largement accusé d’inutilité, Le CCME, aurait pu trouver, dans cette épreuve, l’occasion d’une résilience et faire preuve de dynamique, d’innovation et d’initiatives. D’être, ne serait-ce que par le télétravail, ne serait-ce que symboliquement, au côté des Marocains du monde. Que nenni. Plus que confinée, l’institution est rentrée dans une glaciale hibernation. Le site du Conseil de la Communauté Marocaine à l’Etranger, seule tête visible de l’iceberg, est figé, depuis 15 février 2020, date de la fin du SIEL. Hormis, des vidéos qui datent d’il y’a deux ans, pas une phrase, pas une information, pas un conseil ni un mot de soutien aux MRE (Marocains résidant à l’étranger), en particulier ceux d’Italie et d’Espagne qui vivent des situations émouvantes. Où sont passées donc les puériles « joumaa Moubaraka » du Secrétaire général ? Pour une institution constitutionnelle, dédiée aux MRE, dotée de moyens considérables (un budget annuel de plus de 50 millions de dirhams), ce silence assourdissant n’est pas une négligence. C’est une faute.
Autre aphone, c’est la ministre déléguée aux MRE, Nezha El Ouafi. D’un personnage, tout le monde s’en souvient, qui avait tant de zèle à défendre la participation politique des Marocains du monde, on pouvait attendre une meilleure réaction. Ne serait-ce que parce qu’elle est la première femme, issue de l’immigration, à être en charge du dossier. C’est le contraire auquel on assiste. On a plutôt le sentiment d’avoir affaire à un fantôme. C’est oublier que la force d’un ministre, ce n’est pas tant son action que son magistère de la parole. Et à moins que cela ne m’ait échappé, pas un mot à l’horizon. Son mutisme fera partie de son bilan qui, déjà en soi, laisse à désirer.
D’évidence, cette crise sanitaire met méchamment à nu les outils la politique publique du Maroc à l’égard de sa communauté à l’étranger. Elle souligne, pour ceux qui en doutaient encore, le plus souvent par complaisance, la cruelle indigence de ces institutions dédiées à l’immigration marocaine. Cette léthargie est d’abord le résultat d’une crasse incompétences. L’après corona doit être aussi celui de la mise à plat de ces institutions pour une diaspora qui a toujours donné le meilleur d’elle-même à la mère patrie. Car et avec des avocats de cette trempe, les Marocains du monde préféraient n’avoir affaire qu’à des procureurs.
Ils ne font confiance qu’au Roi. Ils ont raison.

Source: http://www.quid.ma/

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