3- Le livre du CCME d’octobre 2013 : des arguments avariés et éculés
D’autres arguments inconsistants et fallacieux vont des difficultés matérielles, techniques, juridiques et politiques, voir l’impossibilité d’organiser des élections législatives à l’étranger, en passant par l’absence de demande démocratique des citoyens MRE, l’antinomie avec l’intégration des MRE dans les pays d’accueil, le risque de favoriser l’extrême droite dans ces pays, etc..
Un condensé de cet «argumentaire» destiné à discréditer et dévaloriser la participation politique des citoyens MRE par rapport au Maroc, se trouve notamment dans le livre publié par le CCME en arabe et en français en octobre 2013 sous le titre : «la question de la participation politique et de la représentation parlementaire des Marocains du monde». Son idée centrale est que cette question est complexe, compliquée, très difficile à résoudre, impossible à trancher, exige une démarche évolutive, nécessite plus de temps, plus de réflexion pour trouver les solutions pertinentes.
Distribué à très grande échelle depuis cette date, le livre égrène en effet une série de justifications destinées à déconsidérer et à enlever toute raison objective de l’institution d’une participation ou représentation parlementaire des citoyens MRE: «Outre que la concrétisation de ce projet doit être étudiée davantage, (mais jusqu’à quand après plus de 6 ans d’exercice du Conseil au moment de l’édition du livre et plus de 12 années maintenant en 2020), il suscite des interrogations sur son opportunité:
– Les circonstances permettent-elles la participation politique à partir d’urnes installées dans les pays d’accueil?
– Cette participation constitue-t-elle une priorité pour les émigrés?
– Quelle valeur ajoutée apporte-t-elle au pays d’accueil?
– Que faire dans le cas de pays qui interdisent l’organisation d’élections à leurs immigrés?
– Est-il raisonnable de recourir à un droit démocratique dans des pays dont les citoyens en sont dépossédés?
-L’évocation de la discrimination positive pose également problème dans ces pays.
– Les députés qui ne résident pas au Maroc, ont-ils le droit de se prononcer sur des questions qui n’intéressent que les Marocains de l’intérieur?
– Ceux qui ne payent pas d’impôts au Maroc, ont-ils le droit de participer aux élections ?
Il est évident que ces différentes questions nécessitent des expertises qui doivent être réalisées à l’aune du droit constitutionnel, afin d’éviter des hiatus entre l’avis consultatif (sous-entendu du CCME) et la règle de droit».
Or les questions précédentes tournent pour la plupart, non pas autour de l’opérationnalisation de ce droit politique, en réfléchissant aux modalités concrètes, mais de son opportunité et de sa raison d’être, alors que la Constitution a déjà tranché là-dessus, en le reconnaissant et en l’inscrivant dans le marbre.
CCME ou l’impossible pleine citoyenneté des Marocains de l’extérieur, la situation n’étant pas «opportune» pour de multiples raisons insurmontables!!!
Par ailleurs, aux pages 18 et 19 de ce même livre, il est affirmé qu’au niveau mondial, la double problématique de la participation et de la représentation politique des immigrés par rapport à leur pays d’origine, «soulève des questions majeures et complexes dont celle:
– de l’intégration dans les pays de résidence: la participation électorale dans les pays d’origine, n’est-elle pas un frein à l’intégration dans les pays d’installation?
– de la double/ voir triple) allégeance nationale: les binationaux, voir les trinationaux ne risquent-ils pas d’avoir des problèmes contradictoires entre leur pays de résidence et leur pays d’origine, ni d’importer des conflits ou des enjeux inopportuns?
– enfin de la mise en œuvre concrète des scrutins: problème de logistique concernant le déroulement des scrutins, la garantie de transparence des procédures, l’établissement des registres électoraux etc…)
(….) Ainsi la participation politique des expatriés pose à la fois des questions majeures quant aux équilibres politiques intérieurs (!!!) et de mise en application (déroulement des campagnes, établissement des listes électorales, découpage des circonscriptions, juridictions de contrôle des scrutins, conflits de législation et …) et d’une justice et d’une inégalité entre citoyens».
L’argumentaire de ce livre de chevet pour les responsables du Conseil, ne va pas rester au niveau de la simple formulation, mais il sera utilisé par la direction du CCME à chaque occasion qui se présente: contacts avec les ONG de l’émigration et/ ou des délégations étrangères, interventions médiatiques, «sensibilisation» des acteurs politiques, syndicaux, associatifs, médiatiques etc…
Précisons également ici que ce livre ne fait que reprendre, mais en les affinant et en les approfondissant, un certain nombre d’arguments déjà utilisés par eux depuis la création du Conseil, montrant ainsi la continuité de leur approche antiparticipationniste par rapport aux citoyens MRE.
4- Quelques déclarations représentatives et significatives du trio dirigeant du Conseil
Ainsi, dans une interview parue dans «Le Matin du Sahara», le 10 mars 2008, Driss El Yazami, président du CCME, fait l’apologie de la «désintégration» des MRE par rapport au Maroc, leur participation électorale dans le pays d’origine étant considéré comme un parasitage à l’intégration dans les pays d’installation: «Ces terres d’accueil sont en train de devenir progressivement leurs propres pays et non seulement des pays de résidence (…) ll faut que la politique générale du Maroc réponde au principe d’accompagnement de l’intégration des Marocains résidant à l’étranger dans leurs sociétés d’accueil et non entraver cette intégration».
Par ailleurs, balayant publiquement d’un revers de main la nécessaire représentation parlementaire au Maroc des citoyens MRE, le même responsable institutionnel, confiait dans une interview à «Tel Quel» parue le 8 mars 2008 : «Je crois que la question de la participation politique a pris trop d’ampleur. Il y’a d’autres aspects tout aussi importants».
S’agissant maintenant du secrétaire général du CCME, ses «arguments» par rapport à la représentation parlementaire des citoyens MRE, ont été également utilisés bien avant l’édition du « livre-chevet », mais ils ont été intensifiés par la suite, en se fondant aussi sur d’autres aspects plus «radicaux» qui distinguent son approche.
Ainsi, dans un entretien donné en mars 2013 et toujours publié sur le site du Conseil, il déclare ceci : «la migration marocaine est une question nationale et non pas politicienne» , «il est important de garder un peu de sérénité vis à vis de cette problématique (de l’immigration marocaine) en évitant de la politiser, la politique n’étant pas au centre des attentes des Marocains du monde et il n’est pas question de subir des tensions à ce sujet.»
Par ailleurs, rendant compte d’une rencontre organisée le 6 octobre 2016 avec une délégation d’élus franco-marocains du cercle Eugène-Delacroix, le site officiel du CCME fait le compte rendu suivant: «Dans son intervention, M .Boussouf a démontré (!!!) que la participation politique des MDM est confrontée à des écueils d’ordre technique qui entravent sa mise en œuvre (…) En cas de litige, quelle autorité doit intervenir? Et puis les sessions parlementaires nécessitant la présence des élus, durant quelques 9 mois au Maroc, comment ces derniers pourraient-ils représenter une communauté et exprimer ses attentes s’ils sont déconnectés 9 mois par an ?».
Dans la même logique antiparticipationniste, à l’occasion d’une déclaration en direct sur 2M TV dans l’émission Moubacharatan Maâkoum (28 mai 2014), le secrétaire général du CCME procède à une intervention en deux temps, qui se contredisent pratiquement comme à son accoutumée. Certes, pour se prémunir de toute critique, le SG du CCME prend bien soin de dire du bout des lèvres, que le droit de vote et d’éligibilité des MRE existe bel et bien, qu’il n’est nullement à discuter ou à remettre en cause.
Mais au même moment, il soutient que la seule solution viable, efficiente et réaliste, est l’intégration pure et simple des MRE dans les pays d’installation.
Dans cet esprit, il désigne les MRE comme posant problème en soi dans les relations bilatérales, du fait de leur «double allégeance» : «Le défi auquel on doit faire face est la nécessaire intégration totale de la communauté marocaine résidant à l’étranger dans les pays d’accueil. Le suivi d’un projet sociétal à l’intérieur de l’Europe, ne laisse nullement le temps suffisant pour l’implication dans un autre projet sociétal dans un autre pays/ sous-entendu le Maroc) à plusieurs milliers de kilomètres de là. Dans cette situation, on serait dans une position contradictoire: opposition dans les références, conflits d’intérêts entre les pays. Le moindre problème qui surgit dans les pays concernés, pourrait donner lieu à une très grande crise…».
Ainsi, ce livre du CCME d’octobre 2013, n’est nullement «un avis consultatif» comme ceci est propagé institutionnellement, notamment par le secrétaire général du CCME dans ses multiples sorties médiatiques, dont celle dans le cadre d’«Al Oâmk Al Maghribi». Tout comme, faute d’un consensus qui aurait permis de dégager les termes d’un projet d’avis consultatif (à discuter et soumettre obligatoirement au vote en assemblée plénière du Conseil), il ne constitue pas la simple restitution de manière objective et équilibrée des deux points de vue défendus au sein du groupe de travail interne du Conseil relatif à la participation et représentation politique.
Le livre reflète plutôt fondamentalement le point de vue de la direction du Conseil qui a tout fait en termes d’entraves, d’obstacles et de verrous, pour que ledit groupe de travail interne ne fasse pas de manière ouverte, démocratique, plurielle et inclusive, son travail pour l’élaboration de manière objective, d’un avis consultatif en la matière, destiné au Roi.
-à suivre-